LE DOMAINE
La vallée du Calavon, un territoire de confluence
Les vignes du domaine Arnia s’étendent sur une quinzaine de kilomètres, entre Apt et Cavaillon, deux villes fondées par les romains et situées le long de la via Domitia, voie qui relie depuis plus de deux mille ans l’Italie à l’Espagne et qui traversait le Calavon au niveau du Pont-Julien au débouché du défilé de Roquefure.
Réparties sur les communes de Bonnieux, Goult et Oppède nos parcelles surplombent donc la vallée du Calavon (on dit Coulon à partir de Robion), capricieux torrent qui prend naissance dans les Alpes de Haute-Provence pour se jeter dans la Durance et la teinter ainsi de ses eaux couleur ocre. Ocre comme le sont les falaises de Roussillon, village voisin, mondialement connu pour sa beauté mais aussi pour avoir accueilli Samuel Beckett pendant la seconde guerre mondiale.
Ainsi notre territoire est une terre de lumière et de biodiversité, une palette d’artiste composée d’horizons bleutés, d’étendues jaunes comme le sont les champs de blé et de tournesols en fleur, de rayures violettes dessinées par les rangées de lavandin, de nuages blancs formés par les cerisiers en fleur et d’une mosaïque multicolore lorsque les feuilles de vigne commencent à changer de couleur aux premiers frimas.
Composé de 12,5 hectares de vigne, dont 5,2 ha d’AOC Luberon, 6 ha d’AOC Ventoux (non ne dit plus Côtes… ni pour l’un ni pour l’autre) et de 1,3 ha d’IGP Méditerranée (les anciens vins de pays de Vaucluse), le domaine est à la fois situé sur la partie la plus septentrionale du Luberon et la plus méridionale du Ventoux.
Grâce à un encépagement particulièrement diversifié où se côtoient 14 cépages, majoritairement méditerranéens ou rhodaniens, notre capacité à créer de multiples cuvées, tout en respectant les caractéristiques de chaque terroir, est immense.
Il se peut donc, mais nous n’en sommes pas encore sûrs, que d’une année sur l’autre vous ne retrouviez pas les mêmes assemblages. Il en sera de notre gamme comme il en est d’un atelier d’artiste, d’un recueil de nouvelles, d’un album photographique… une signature commune mais des œuvres (allez osons le terme) multiples et différentes qui reflèteront leur millésime ainsi que notre humeur du moment (et l’on espère que l’un et l’autre seront très bons).
Le Baron Pierre le Roy de Boiseaumarié, premier vigneron du monde, a affirmé en son temps que les français n’étaient pas faits pour les productions standardisées, que leur génie était ailleurs. A notre petite échelle et en toute humilité nous essayerons de lui rendre hommage en donnant priorité à la création plutôt qu’à la standardisation.
En écrivant cela nous nous prenons le risque de prêter le flanc à la critique, ouvrant indirectement la boite de Pandore de la question des cépages que nous avons plantés. Quels sont-ils ? D’où viennent-ils ? Coupons court aux polémiques et ne cachons rien de la vérité. Hormis nos vieux carignans replantés juste après le sévère gel de février 1956 et certains grenaches des Patys, toutes les parcelles ont été plantées récemment, avec des clones multipliés par des pépiniéristes locaux. Aucune parcelle n’est donc issue de sélections massales. A tort ou à raison. Certaines syrahs sont effectivement atteintes de dégénérescence précoce, comme c’est souvent le cas pour les syrahs plantées au début des années 90. Mais il suffit de se baisser et de comparer les ceps qui forment une rangée pour constater qu’ils sont tous différents. Par ailleurs, comment faire des sélections massales quand vous partez d’un vignoble quasi inexistant ? Avec des rentabilités économiques difficiles à atteindre, des programmes de restructuration qui vous obligent à arracher, labourer, replanter en à peine trois ou quatre années, s’interdire le recours à des clones est une gageure, un pari un peu fou que nous espérons pouvoir prendre un jour, mais en attendant on s’est organisé comme on l’a pu.
Arnia, un domaine en Luberon
En italien, Arnia signifie la ruche. Pourquoi avoir choisi un terme italien ? Parce que l’italien est une langue chantante et que l’on dit souvent que c’est la langue de l’amour. Mais aussi parce qu’ici, dans le Comtat Venaissin, et notamment dans l’ancienne enclave de Bonnieux, nous n’avons été rattachés à la France seulement en 1793. Auparavant nous dépendions des Etats Pontificaux, comme une grande partie du département de Vaucluse, hormis la Principauté d’Orange qui était rattachée à la couronne des Pays-Bas (d’où la couleur des maillots de l’équipe de football des Pays-Bas).
La ruche donc. Alors bien sûr, l’idée qui a prévalu était de rendre hommage aux abeilles, dont on parle tant et à juste titre en ce début de 21ème siècle. Un tiers de nos aliments sont dépendants du travail de pollinisation des abeilles. Imaginez qu’elles viennent à disparaitre ? Votre burger réduit d’un tiers ? Votre sorbet pistache vanille réduit d’un tiers ? Votre pastis réduit d’un tiers ? (ah non, ça ce n’est pas acceptable, et en plus, ce n’est pas un aliment, sauf à ne pas respecter le dosage prescrit et à forcer sur le volume anisé)… Donc oui hommage aux abeilles mais aussi à l’ensemble des pollinisateurs ! Ils bossent pour nous. Et ils font plutôt bien le job et pour pas un rond…. Alors, de grâce, épargnons-les…
Après, il convient de rappeler que la vigne est autofertile. Ce qui veut dire qu’elle peut se passer des insectes pollinisateurs (et notamment les bourdons). S’ils disparaissent, pas de crainte de voir votre verre de rosé favori (le nôtre) à moitié vide, par contre, il faudra réduire votre consommation de gaspacho, de nougat, de cerises et autres mets délicieux. Il faut donc protéger les pollinisateurs !
Au domaine Arnia nous allons installer des ruches et tout mettre en œuvre pour être certifié Bee friendly rapidement. Je ne sais pas si on a le droit d’en parler avant d’avoir entamé toute démarche…Mais c’est un vrai objectif. Nous sommes déjà certifiés Agri Confiance, qui est un engagement normé plus ou moins proche d’un RSE coopératif et nous en sommes très fiers. Mais si demain nous étions certifiés Bee friendly nous serions encore plus fiers. Et cela en attendant le millésime béni où nous pourrons prendre le risque de convertir nos 12,5 hectares en viticulture biologique. Mais pour l’instant, pour reprendre une expression post-Covid fort usitée, « c’est compliqué». Techniquement, humainement et donc financièrement.
Arnia, la ruche, c’est notre façon de vivre, de fonctionner. Ce sont les membres de la famille qui bourdonnent ensemble lors des grandes célébrations. Ce sont les intermittents du spectacle de la nature, les tractoristes, les techniciens, œnologues, les mécanos et communicants qui s’affairent pour nous permettre de mener à bien notre mission commune : récolter de beaux raisins, les apporter à la cave coopérative et les vinifier avec l’objectif d’élaborer de beaux vins, et si tous les feux sont au vert, de grands vins même !
La ruche, ce sont aussi les enfants devenus grands qui partent vers d’autres horizons mais reviennent toujours là où ils ont appris à monter à bicyclette, à conduire un tracteur, à épamprer ces fichues clairettes qui repoussent de tous côtés.
La ruche enfin, c’est la communauté des hommes et des femmes sur laquelle se construit un territoire. La communauté des enseignants, des paysans, des commerçants, des artisans, des pensants, des aidants, des soignants, des militants…
Arnia est notre nom, notre philosophie, notre volonté de participer activement, à notre modeste échelle, au développement de notre territoire. A ce territoire qui prend naissance au pied des Alpes et se termine en bord de Durance. A cette vallée du Calavon, bordée au nord par les Monts du Vaucluse et au sud par le massif du Luberon que les troupes romaines (Ave César), les marcheurs du week-end (Salut les marseillais), les cyclistes et les troupeaux de moutons suivent depuis plus de 2000 ans !
Vous l’aurez compris, dans une bouteille d’Arnia il n’y pas que du vin. Il y a aussi des croyances, des convictions, de la sueur, des doutes, des paysages et des histoires. Et des larmes. Forcément, comme celles-qui me sont venues un samedi d’automne alors que je me rendais sur les terrasses de Pierredon juger de la maturité des olives. Branché sur les ondes de France Inter j’ai reconnu la voix du regretté Bertrand Tavernier que j’ai eu la chance d’accueillir plusieurs fois à Châteauneuf-du-Pape. Ce grand réalisateur, militant de l’exception culturelle, combat planétaire qui rejoint celui de nous devons mener au titre des AOC contre la standardisation, a dit un jour : « Je pense que mon amour pour les paysages, de tourner en extérieur très tôt …ça vient de quelque chose, une frustration que je ressens en France où il y a pas tellement de films où les paysages jouent une importance énorme »…
Oserai-je paraphraser Bertrand Tavernier et prétendre que mon amour pour le concept même d’AOC vient de cette frustration de constater que pour de trop nombreux consommateurs, en évidente rupture de liens avec la ruralité, ses traditions, ses paysages, ses aléas, la quantité prime sur la qualité ? Le prix sur l’équitable répartition de la valeur ajoutée ? La désincarnation du produit agricole, brut ou transformé, a aboutit ces trente dernières années au double scandale d’un niveau record de gaspillage alimentaire – l’aliment peu cher n’est plus sacré, il a perdu de sa respectabilité sur l’autel de l’incantation permanente des pouvoirs publics à baisser les prix des aliments, et en même temps et de façon conséquente, à une paupérisation grandissante des paysans français, notamment des éleveurs, après que des filières entières ont été sciemment sacrifiées par les dirigeants de notre pays (le Vaucluse fut le jardin de la France, il ne l’est plus depuis longtemps, laminé par les bas coûts de production de pays proches dans un premier temps et puis de plus en plus éloignés au fur et à mesure que la globalisation des échanges explosaient pour devenir la norme plutôt que l’exception.